nouvelles d’Alabama, par un prisonnier anonyme

traduit par Pidonaldsom2

Nouvelles d’Alabama, par un prisonnier anonyme (traduit de Wildfire n°3, décembre 2015)

donaldson 1

Note du traducteur :

Le texte qui suit, écrit par un prisonnier anonyme, est un témoignage des révoltes qui ont secoué récemment les prisons de l’État de l’Alabama, au sud des États-Unis, l’un des plus marqués par le passé ségrégationniste du pays, et qui présentait en 2013 le plus haut taux d’incarcération des États-Unis (qui est le premier pays pour sa population carcérale, et le deuxième pour son taux d’incarcération après…les Seychelles) [i]

Il est extrait du dernier numéro de la revue antiautoritaire et anticarcérale américaine Wildfire [ii]. Cette revue est publiée dans l’Indiana, et contient des textes de prisonniers en lutte (dont les anarchistes Sean Swain et Michael Kimble), des échanges concernant les stratégies de combat et une chronologie d’événements récents dans les taules du monde.

Donaldson Prison

Donaldson prison

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Après le violent passage à tabac que j’ai subi, j’ai pensé abandonner toute pensée de révolte contre l’administration de la prison de Donaldson. Mais plus je m’arrêtais sur des pensées de soumission, plus je me sentais mal à l’aise et plus j’avais de honte moi-même. La pire chose qu’ait pufaire l’administration pour tenter de briser notre volonté de révolte, c’est nous avoir tous placé dans le même quartier pénitentiaire. Alors que j’étais par terre pour écouter et parler avec les frères qui m’ont épaulé à travers l’espace qui sépare le sol de la porte, je suis peu à peu devenu malade de honte du simple fait d’avoir pensé abandonner notre combat. Et laisser ainsi tomber ces frères. D’autres ont peut-être eu les mêmes pensées, mais personne ne les a exprimées. Nous nous sommes encouragés, même aux moments où nous ne sentions pas en nous de courage. Leur solidarité m’a donné de la motivation et a rallumé mon désir d’agir contre le niveau d’oppression critiqueque nous subissons. Comment je vais ? Je suis blessé, mais pas détruit. Mes blessures guériront.

Ici, les choses NE VONT PAS BIEN. Cette merde de taule, c’est comme Guantanamo , le Guantanamo de l’Alabama ! Il y a plus de 30 prisons dans l’État, mais seules trois d’entre elles sont des prisons de sécurité maximale. Il s’agit des prisons de St.Clair, Holman et Donaldson. Donaldson ressemble à une gigantesque unité de ségrégation. C’est là que le Bureau d’application des peines d’Alabama (l’ADOC) transfère tous les individus les plus problématiques et les plus incontrôlables.

Pour que la chose soit plus facile à comprendre, je dois évoquer quelques événements qui se sont produit en 2014, lorsque le mouvement Free Alabama a débuté. L’appel à l’action a consisté en un arrêt de travail de tous les détenus ayant un emploi au sein de la prison. J’étais à la partire cantine du dortoir d’Holman à 12h30 lorsque le surveillant chargé de notredortoir a demandé au premier individu de se tenir prêt pour le boulot. Tout le monde a dit « c’est Free Alabama ici ! Y’a pas de boulot ! ». Nous l’avons fait sortir du dortoir. Nous tous, les 117 détenus, sautions et hurlions « Free Alabama, salope ! Plus de boulot ! Nique l’ADOC ! ». Lorsque le surveillant a appelé du renfort par radio et que tous ses collègues sont arrivés en courant dans le hall, ils se sont arrêtés net…Nous les avons provoqué en leur disant qu’ils entrent, mais ils n’osaient pas le faire. Ils ont appelé le groupe d’intervention anti-émeute (riot squad), mais eux aussi avaient trop peur pour entrer dans le dortoir. Ils se tenaient devant les barreaux, morts de peur. Nous avions sorti nos téléphones qui enregistraient ce qui se passait, nous leur disions qu’ils seraient poignardés au moment d’entrer, mais ils ne l’ont jamais fait. Ils se sont retirés après quelques tours du hall, pendant une dizaine minutes.  C’était une victoire inédite, qui a été filmée. Et par de nombreux appareils ! Lorsque nous avons commencé à partager les images avec les frères des autres quartiers pénitentiaires et d’autres prisons, de nombreux individus qui faisaient jusqu’alors preuve d’indifférence pour le mouvement se sont radicalisé. Les gars ont commencé à manifester de pleins de pleins de façons différentes.  C’est à Holman que sont fabriquées toutes les plaques d’immatriculation automobiles de l’État, c’est pourquoi les responsables de la prison ont trouvé des compromis pour inciter les individus à se remettre au travail. Ces derniers y sont retournés après quelques semaines, mais le niveau d’unité entre détenus et de mépris pour les surveillantsqui avait été atteint commençait à nuire au contrôle des prisons par l’administration. Des surveillants se faisaient passer à tabac et poignarder un peu partout. Icià Donaldson, le Free Alabama Movement (FAM)n’a jamais décollé. Donaldson n’a pas d’activités économiques comme les autres prisons : il n’y a que des cellules. Alors que les autres prisons connaissaient le chaos, des révoltes massives, de nombreuses tentatives d’évasion et un flux de produits de contrebande, Donalson était calme. Tout était en ordre. Les prisons de Holmanet de St.Clair nous ont alors transféré, tous les incontrôlables,  à Donaldson.

Je savais que le choc serait brutal en pénétrant dans le bloc, où j’ai vu des individus utiliser les téléphones en PCV de la prison. Bizarre ! De nombreux individus que je connaissais étaient là. Ils ont confirmé mes peurs. L’administration a un contrôle complet sur la population carcérale. C’est le dernier bastion de l’ADOC. De quelque part en haut, les responsables d’ici ont reçu l’ordre de faire usage de toute la force nécessaire, pour maintenir coûte que coûte les détenus sous contrôle. Les matons de la prison ont tué 3 détenus depuis que je suis arrivé (début 2015), et ça n’a même pas été évoqué dans les médias. Personne n’a été licencié. Je parie qu’il n’y a même pas eu d’enquête. Depuis que j’ai été placé dans cette cellule de ségrégation (septembre 2015), deux personnes sont « décédées » en cellule. D’après les rapports, personne n’en connait les raisons. Ils seraient juste subitement passés à l’état « ne réagit plus ». Putain de bizarre !

Il n’y a aucun moyen, aucune procédure pour obtenir réparation pour un préjudice subi. Il n’est même pas possible de faire certifier un document s’il concerne une faute commise par un surveillant. Tous les frères qui sont arrivés ici avec moi ont essayé de déposer plainte contre les injustices que nous avons été forcés de supporter, mais nous sommes en permanence privés du matériel nécessaire pour le faire.

Laissez-moi faire un retour en arrière. Après plusieurs mois passés ici à Donaldson, j’ai pris contact avec des compagnons résolus à agir contre la violence utilisée par l’administration contre nous. Nous avons établi des plans pour attaquer les surveillants les plus violents, mais avant d’avoir pu les mettre en application, un traître parmi nous en a révélé la première partie.À peu près au même moment a eu lieu un transfert de frères venus de St.Clair, qui avaient poignardé un capitaine, participé à une altercation physique majeure avec d’autres surveillants et gravement blessé plusieurs d’entre eux.Ils sont arrivés et ne parlaient que d’attaquer les flics.Il faut garder à l’esprit que tout se passe à un moment où le pays entier manifeste contre les meurtres policiers de personnes sans armes. On parlait tellement de fumer la police que l’administration a fini par nous enfermer toute la journée en cellule, sauf aux heures des repas. Le 9 septembre, nous avons décidé de ne pas retourner en cellule. Nous savions que cela équivalait à demander des coups, et nous étions prêts. Ou plutôt, certains d’entre nous l’étaient.

Depuis, j’ai appris que l’administration s’était préparée contre un soulèvement. Quand quelques-uns des premiers surveillants sont venus nous faire rentrer en cellule, nous n’avons eu aucun problème à les affronter, mais les renforts sont arrivés si vite, en tenue anti-émeute, nous gazant et nous tabassant avec leurs longues matraques en bois de chêne, que nous n’avons pas eu le temps de réagir. Nous avons été décimés. Moi et six autres frères avons été désignés comme les meneurs de l’action, et nous avons subi en conséquence plusieurs tabassages depuis ce jour. Mais aucun n’a été aussi violent que ceux reçus ce jour-là. Le traitement, ou plutôt les mauvais traitements que nous avons reçu depuis le 9 septembre avaient pour but de nous briser. Ils n’ont pas été efficaces. 

[i]Si l’on en croit les chiffres donnés ici : https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_U.S._states_by_incarceration_rate

[ii]http://wildfire.noblogs.org/

Voir aussi: La lutte contre les prisons – une chronologie